Parashat Matot (5776)
Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
Pour l’élévation de l’âme de ‘Hanna bat Esther.
La parachat matot débute en définissant les lois qui régissent les voeux volontaires et les serments, qu’un homme ou une femme, s’engagerait à tenir. Elle relate ensuite, la bataille qu’ont livrée les bné-Israël aux gens de Midiane, en représailles pour les fautes que ces derniers ont fait commettre au peuple. Une fois vaincus, Moshé, sur ordre d’Hachem, répartit le butin en fonction de chaque personne. Suite à cela, les tribus de Réouven et de Gad, ainsi que la moitié de celle de Ménaché demandent la permission de s’installer dans les villes se trouvant avant le Jourdain et de les prendre à la place de leur héritage sur la terre d’Israël.
La parachat Massei, qui clôture le livre de Bamidbar, énumère les quarante deux voyages accomplis par le peuple depuis la sortie d’Égypte. Elle définit ensuite les frontières du pays dont les bné-Israël allaient prendre possession et la manière dont le territoire devra être réparti.
Dans le chapitre 32 de Bamidbar, la torah dit :
:א/ מִקְנֶה רַב, הָיָה לִבְנֵי רְאוּבֵן וְלִבְנֵי-גָד–עָצוּם מְאֹד; וַיִּרְאוּ אֶת-אֶרֶץ יַעְזֵר, וְאֶת-אֶרֶץ גִּלְעָד, וְהִנֵּה הַמָּקוֹם, מְקוֹם מִקְנֶה
1/ Or, les enfants de Réouven et ceux de Gad possédaient de nombreux troupeaux, très considérables. Lorsqu’ils virent le pays de Yazer et celui de Galaad, ils trouvèrent cette contrée avantageuse pour le bétail.
:ב/ וַיָּבֹאוּ בְנֵי-גָד, וּבְנֵי רְאוּבֵן; וַיֹּאמְרוּ אֶל-מֹשֶׁה וְאֶל-אֶלְעָזָר הַכֹּהֵן, וְאֶל-נְשִׂיאֵי הָעֵדָה לֵאמֹר
2/ Les enfants de Gad et ceux de Réouven vinrent donc et parlèrent à Moshé, à Eléazar le cohen et aux princes de la communauté, en ces termes:
:ג/ עֲטָרוֹת וְדִיבֹן וְיַעְזֵר וְנִמְרָה, וְחֶשְׁבּוֹן וְאֶלְעָלֵה, וּשְׂבָם וּנְבוֹ, וּבְעֹן
3/ « Ataroth, Dibon, Yazer, Nimra, Hesbon et Elalê; Sebam, Nébo et Beôn.
:ד/ הָאָרֶץ, אֲשֶׁר הִכָּה יְהוָה לִפְנֵי עֲדַת יִשְׂרָאֵל–אֶרֶץ מִקְנֶה, הִוא; וְלַעֲבָדֶיךָ, מִקְנֶה
4/ ce pays, qu’Hachem a fait succomber devant les bné-Israël, est un pays propice au bétail; or, tes serviteurs ont du bétail. »
:ה/ וַיֹּאמְרוּ, אִם-מָצָאנוּ חֵן בְּעֵינֶיךָ–יֻתַּן אֶת-הָאָרֶץ הַזֹּאת לַעֲבָדֶיךָ, לַאֲחֻזָּה
5/ Ils dirent encore: « Si nous avons trouvé faveur à tes yeux, que ce pays soit donné en propriété à tes serviteurs; ne nous fais point passer le Jourdain. »
Concernant la requête des deux tribus et demie, il convient évidemment de tenter de comprendre la démarche. L’argument semble difficile à entendre : la quantité de leur bétail les empêchait d’entrer en Israël ! Comment concevoir cela, alors que depuis quarante ans maintenant, l’objectif ultime du peuple hébreu est justement d’entrer en terre promise. Et pourtant, à la frontière de la terre, alors que l’attente touche enfin à sa fin, cette partie du peuple estime que les terres en périphérie d’Israël sont plus indiquées pour eux. Non seulement ils font cette requête, mais plus encore, Moshé la valide ! Comment comprendre cela ?
Plus encore, la base de leur argument se trouve être le bétail, ce qui signifie qu’il était tel que, résider sur ces terres apparaît comme une évidence. Mais pourquoi leur troupeau était-il si volumineux par rapport au reste du peuple ?
Un commentaire du Rav Dessler (mikhtav méÉliyahou, tome 2, page 254) nous amène à réfléchir plus profondément sur ce qui se passe dans notre passage. Il explique que la génération dont nous parlons est celle qui a atteint le niveau du daat, qui correspond au niveau de savoir le plus haut qui puisse exister, celui d’adhésion absolue à Hachem. À ce titre, ils ne concevaient pas les choses de la plus simple des façons, mais au contraire, s’ils agissent ainsi, c’est que cela est nécessaire. En ce sens, comme nous avons expliqué à plusieurs reprises déjà, depuis la faute d’Adam, des étincelles de néchamot se sont perdues dans les griffes du mal et nos mitsvot participent à la restitution de ces étincelles. Plus précisément ajoute le Rav, chaque être humain a pour objectif de récupérer les étincelles de sa propre âme, et c’est justement ce qui justifie des objectifs différents dans l’existence des êtres humains, car à chacun correspond une partie d’âme qui le concerne et qui est spécifique.
Cela donne une raison différente au choix des tribus de Réouven, Gad et de la moitié de Ménaché, car, de part le niveau qui était le leur, ils sont parvenus à percevoir la correspondance entre la terre devant Israël, et les étincelles d’âmes qu’ils devaient récupérer. La terre qu’ils demandent est spécifique à leur âme, c’est là-bas qu’ils doivent être !
Comme nous l’avons dit, ce commentaire nous amène à réfléchir. Pourquoi cette partie du peuple ne correspond pas avec la terre d’Israël au sens propre ? Pourquoi leur vie doit-elle se limiter à la périphérie d’Israël. N’entrent-ils pas dans la promesse faite à Avraham ?
Une réponse peut être apportée en fonction des propos du Arizal telle que l’apporte Rav Rosenblum (parachat mattot-massé année 5773). La raison qui motive leur présence en dehors de la terre d’Israël provient de leur naissance, ou plus précisément de la façon dont ils ont été conçus. Rappelons les faits. Initialement, Yaakov travaille pour Lavan dans l’espoir d’épouser Ra’hel. Toutefois, il se fait duper par son oncle qui échange Ra’hel contre sa grande sœur Léa. Lorsque Yaakov découvre la supercherie, il est déjà trop tard et le mariage a déjà eu lieu. Ce dernier reproche à Léa d’avoir participé au complot et elle lui rétorque un argument indiscutable : c’est de Yaakov lui-même qu’elle a appris cette attitude. Car, lui aussi, lorsque sa mère l’a poussé à se faire passer pour Essav afin de recevoir les bénédictions d’Yitshak, n’a pas hésité à le faire, du coup, elle a calqué son attitude sur la sienne. Face à cela, Yaakov n’avait rien a répondre, et accepte l’argument.
Cela a toutefois eu pour conséquence de fausser l’intention de Yaakov lors de la conception de son premier enfant. Persuadé de s’unir à Ra’hel, forcément il existe une incohérence entre ce que Yaakov pense et la réalité. De cette première union est né Réouven, et de facto, sa conception n’étant pas idéale, elle reflète la tromperie dont Yaakov a été victime, entachant ainsi l’existence de Réouven.
Par la suite, lorsque Ra’hel constate qu’elle ne parvient pas à enfanter, elle prend sa servante pour se substituer à elle, dans l’espoir de pouvoir contribuer à la création du peuple d’Israël. Léa prend également la décision de donner sa servante, à une différence près : elle ne prévient pas son mari ! De sorte, lorsque Yaakov s’unit à Zilpa, il n’a pas pu préalablement se marier avec elle et plus encore, il ignore que c’est elle. Cela remet donc en scène les conditions de la naissance de Réouven et l’enfant issu de cette union n’est autre que Gad, qui lui aussi, se voit entaché et présente un défaut.
Bien évidemment, il s’agit de notions profondes qui sont difficiles à comprendre et qui nous échappent, c’est pourquoi, nous ne comprenons pas nécessairement, pourquoi Hachem impacte la naissance d’enfant qui semblent n’avoir rien fait. Toutefois, Hachem sait parfaitement ce qu’Il fait, surtout lorsqu’il s’agit de tsadikim avec lesquels Il se comporte avec une rigueur totale.
Cela nous permet d’aborder le cas de la moitié de la tribu de Ménaché. Comme chacun le sait, Ménaché est le fils aîné que Yossef a eu avec Assenat. Cette dernière est la fille à laquelle Dina a donné naissance suite au viol qu’elle a subi par Chkhem. Cela signifie, qu’à hauteur de cinquante pour cent, Assenat dispose des gènes de Chkhem. En se mariant avec Yossef, Assenat accouche de jumeaux, Ménaché et Éphraïm. En tant qu’aîné, Ménaché est plus impacté par l’impureté présente en Assenat et c’est sur lui que sont transférés les cinquante pour cent d’impureté hérités de Chkhem. Cela explique pourquoi, la moitié des membres de la tribu de Ménaché est atteinte d’une trace d’impureté.
Nous comprenons ainsi, pourquoi ces deux tribus et demie trouvent une correspondance plus marquée avec la terre qui devance Israël, car en réalité, Hachem préfère les refouler à l’extérieur de la terre sainte.
Toutefois, il aurait été humiliant pour eux de se voir refuser l’entrée en Israël, c’est pourquoi, Hachem va mettre en place le moyen du justifier cela. En effet, nous avions demandé d’où provenait un troupeau si important concernant ces tribus.
À cela, le Sifté Cohen apporte une réponse qui remonte à un événement souvent passé inaperçu, celui du bouquet de doudaïm (souvent traduit par mandragore) que Réouven cueille pour sa mère Léa. Lorsque Ra’hel voit ces fleurs elle demande à Léa de lui en donner, ce à quoi elle se voit accuser de façon virulente d’avoir déjà pris le mari de Léa et d’en plus vouloir obtenir les fleurs de son fils. En échange de ces fleurs, Ra’hel propose à sa sœur d’échanger leur couche et lui accorde le droit de cohabiter avec Yaakov à sa place. Léa accepte et lui donne les fleurs.
Une telle situation pour de simples fleurs ?!
Il ne s’agit en fait pas de fleurs banales, elles cachent un secret. Ces fleurs sont miraculeuses et ne peuvent à priori pas être cueillies du sol, sous peine d’accorder la mort à la personne qui en ferait les frais. Par contre, elles présentent une vertu complètement opposée une fois détachées du sol. La personne qui les consomme donnera facilement la vie !
La torah précise lors de cet événement qu’il s’agissait de la période de la moisson. C’est pourquoi, un des ânes de Réouven, en participant à la récolte, est mort en arrachant ces fleurs du sol, et c’est sa mort qui a permis à Réouven de comprendre la nature de ces fleurs. Il décide donc de les offrir à sa mère Léa. Cela nous permet de comprendre pourquoi Ra’hel désirait tant en obtenir, car elle avait des difficultés à enfanter et espérait ainsi pouvoir donner la vie.
De cet événement nous comprenons la taille excessive des troupeaux de Réouven et Gad. Le Sifté Cohen explique que Réouven a gardé de ces plantes que ses enfants se transmettaient de générations en générations. C’est en les donnant à son bétail que cette tribu est parvenue à un tel troupeau ! Or, dans la disposition du campement des bné-Israël, les tribus de Gad et de Chimone accompagnaient Réouven. Chimone, n’a pas profité de ces plantes car suite à la faute de débauche à laquelle il s’est laissé aller, Réouven n’a pas voulu lui en faire bénéficier, toutefois Gad lui a eu droit de fournir à son troupeau les plantes en question. Ce qui explique la taille phénoménale de leur troupeau.
À ce titre, le Midrach (béréchit rabba, chapitre 72) explique que lorsque Réouven a obtenu ces doudaïm, elles se trouvaient dans un champ, et n’étaient pas issues du vol. La torah insiste sur cela, car Réouven prenait soin de ne commettre aucun vol et a transmis cela à descendance. L’importance de leur bétail justifiait donc que ces tribus restent à l’extérieur d’Israël, car, les terres n’étant pas encore conquises, nourrir les animaux n’aurait pu se faire sans les faire paître sur des terres qui ne leur appartiennent pas encore, et cela constituerait du vol ! C’est à ce titre que Réouven, devant l’immensité de son bétail, préféra de lui-même abandonner son héritage en Israël et rester sur les terres qui se présentent maintenant devant lui, afin d’éviter de profiter du vol. C’est dans cette optique qu’Hachem a agencé les choses, afin d’éviter à ces tribus la honte d’être repoussées de la terre sainte.
Même dans la rigueur, Hakadoch Baroukh Hou prend soin de ses enfants en veillant à les traiter de la plus noble des façons. Puissions-nous mériter d’atteindre un aussi grand niveau, de sorte, que nos fautes soient expiées sans même que nous nous en rendions compte.
Chabbat chalom.
Y.M. Charbit