Parashat Shémini (5775) – Yéhouda Moshé Charbit
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בס״ד
PARACHAT CHÉMINI
La paracha de Chémini débute par le récit des différents sacrifices et offrandes qu’Aaron et ses fils ont apportés pour inaugurer le michkan. Les sacrifices terminés, Moshé et Aaron entrent ensemble dans la tente d’assignation pour implorer Hachem. À leur sortie, ils bénissent le peuple et, un feu sort et consume les offrandes sur le michkan. C’est à ce moment que Nadav et Avihou, les fils d’Aaron, apportent un feu étranger qui n’avait pas été réclamé. À cause de cette erreur, un feu divin les dévore et leur ôte la vie. Moshé demande alors d’évacuer les corps des défunts à l’extérieur du camp. Cependant, malgré leur douleur, il fut interdit à Aaron et ses fils restants de prendre sur eux le deuil, du fait qu’ils se trouvaient dans les jours d’inauguration du michkan. Ils ont donc poursuivi leur office. La paracha se poursuit par l’explication aux bné-Israël des lois distinguant les animaux permis à la consommation de ceux qui sont interdits. Hachem explique au peuple que toute consommation de ces animaux interdits rend l’âme impure. Or, en tant que peuple d’Hachem, à son image, nous devons être purs.
Dans le chapitre 11 de Vayikra, la torah dit :
א/ וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה וְאֶל-אַהֲרֹן, לֵאמֹר אֲלֵהֶם :
1/ Et Hachem a parlé à Moshé et à Aaron en disant :
ב/ דַּבְּרוּ אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, לֵאמֹר: זֹאת הַחַיָּה אֲשֶׁר תֹּאכְלוּ, מִכָּל-הַבְּהֵמָה אֲשֶׁר עַל-הָאָרֶץ :
2/ Parlez aux bné-Israël en disant : Voici les êtres vivants que vous pourrez manger de parmi tous les animaux qui sont sur la terre.
ג/ כֹּל מַפְרֶסֶת פַּרְסָה, וְשֹׁסַעַת שֶׁסַע פְּרָסֹת, מַעֲלַת גֵּרָה, בַּבְּהֵמָה–אֹתָהּ, תֹּאכֵלוּ :
3/ Tout animal dont le sabot est fendu, qui est complètement séparé en deux sabots, qui fait remonter sa nourriture parmi les animaux, celui-là vous mangerez.
ד/ אַךְ אֶת-זֶה, לֹא תֹאכְלוּ, מִמַּעֲלֵי הַגֵּרָה, וּמִמַּפְרִסֵי הַפַּרְסָה: אֶת-הַגָּמָל כִּי-מַעֲלֵה גֵרָה הוּא, וּפַרְסָה אֵינֶנּוּ מַפְרִיס–טָמֵא הוּא, לָכֶם :
4/ Mais ceci vous ne mangerez pas parmi ceux qui font remonter la nourriture et ceux qui ont le sabot fendu : le chameau car il fait remonter la nourriture mais son sabot n’est pas fendu ; il est impur pour vous.
Une partie entière de notre paracha est consacrée aux lois de la consommation et nous définit quels sont les animaux que nous pouvons manger ainsi que les critères nous permettant d’identifier les animaux non-cacher. Sur cette notion de la cacherout animale, le midrach yalkout chimoni rapporte au nom de Rabbi Yitshak (chapitre 11, paragraphe 436) : « à la fin des temps, Hakadoch Baroukh Hou fera un grand festin pour les tsadikim, et quiconque n’aura consommé aucune carcasse animale ni aucun animal taref (littéralement cela signifie déchiré, et fait référence aux animaux qui n’ont pas été abattus comme l’exige la hala’ha) dans ce monde, méritera de consommer ce repas dans le monde futur ».
Cela trouve un écho aux commentaires de nos sages sur le verset 21 de béréchit au premier chapitre, lorsque Dieu crée les grands cétacés. Rachi apporte sur ce passage un midrach : « Cela fait référence au Léviathan et sa compagne que Dieu a créé mâle et femelle, pour finalement tuer la femelle et la réserver pour les tsadikim dans le monde futur. Car s’ils se reproduisaient, le monde ne tiendrait pas devant eux ».
Bien évidemment ces deux textes sont en corrélation comme le souligne Rabbénou Bé’hayé, et le repas dont nous parlons dans le premier est bien celui qui sera produit à partir du Léviathan. Cela nous amène tout de même à poser quelques questions car dans les faits, ces textes semblent un peu difficiles à cerner.
Le midrach nous parle d’un repas que les justes sont censés consommer à la fin des temps dans le monde futur. Mais ce monde n’est-il pas d’ordre spirituel ? Dès lors, parler de consommation semble hors sujet dans le mesure où le besoin de se nourrir ne sera plus d’actualité, comme en témoigne la torah sur Moshé Rabbénou qui a passé quarante jours et quarante nuits dans le ciel pour recevoir la torah et durant lesquels il n’a ni bu ni mangé. Pourquoi parlons-nous allons de nourriture ?
Une seconde question se pose. Pourquoi créé le Léviathan en couple si leur reproduction est dangereuse et nécessite finalement que Dieu supprime un des deux conjoints ? Autant ne pas créer la femelle et éviter d’avoir à la tuer ensuite.
Nos sages se sont évidemment penchés sur la question et la réponse qu’ils nous fournissent nous apporte un regard nouveau sur le rapport de l’homme à la nourriture. Pourquoi notre survie en dépend-elle ? Pourquoi existe t-il des aliments permis et d’autres interdits dont la consommation est si grave que ‘Hazal attestent qu’elle provoque l’éloignement de la spiritualité.
Rabbénou Bé’hayé développe l’idée selon laquelle la nourriture permet de renforcer les forces physiques ce qui provoque en conséquence l’augmentation de la vitalité spirituelle dans la mesure où la joie de profiter d’un bien matériel permet une connexion spirituelle avec notre néchama. Effectivement cela est avérée à plusieurs occasions dans la torah comme par exemple lorsqu’Yitshak demande à Essav de lui confectionner un mets raffiné afin qu’il puisse le bénir. Le fait de manger un plat particulièrement bon permet une élévation spirituelle engendrant la capacité de bénir ! De même lorsque Yitro rejoint Moshé et les bné-Israël dans le désert, la torah atteste qu’ils ont ensuite mangé devant Dieu ! Le repas a constitué une élévation et les a « placés devant Dieu » !
Il apparaît donc que la nécessité de se nourrir ne constitue pas un simple apport énergétique, elle permet la création d’un lien puissant avec l’aspect divin, c’est sans doute pourquoi nos sages insistent tant sur la qualité du repas de chabbat qui n’est pas une formalité mais bien une condition absolue à l’accomplissement des lois de chabbat !
En ce sens, il est clair que le repas dont nous parle le midrach qui sera servi au tsadikim à la fin des temps n’a pas pour but de rassasier l’estomac et de vivre un plaisir matériel. Au contraire il permettra l’achèvement de la progression des tsadikim ! Car, le Léviathan qui sera à la base de ce festin a semble t-il été créé spécifiquement pour l’occasion et il est gardé en réserve pour cet instant précis. C’est dire combien son impact est d’une dimension spirituelle. Ainsi, chaque repas nous permet, s’il est servi à bon escient, de nous rapprocher de Dieu, et le repas ultime, celui qui est réservé au juste permettra d’achever cette progression au point de conclure définitivement la nécessité de manger ! Il sera la dernière étape matérielle et amènera le monde à une expression purement spirituelle ! À ce titre, lorsque le midrach dit qu’il aura lieu à la fin des temps, il s’agit de l’étape précédant le monde futur, il sera la passerelle qui nous fera atteindre le niveau requis pour le monde futur !
D’ailleurs, le mot Léviathan a pour racine Lévia qui connote l’union. Manger cet animal nous conduira à l’union ultime avec le créateur du monde !
Le Maharal de Prague (dans le livre ‘hidouchei hagadot, sur baba batra, page 74) nous apporte un éclaircissement supplémentaire. Comme nous l’avons vu l’union du Léviathan avec sa conjointe aurait provoqué la destruction du monde. Dans la torah, l’union constitue l’accès à un état absolu et achevé, l’atteinte de l’objectif. C’est par l’union que les êtres s’expriment pleinement. À titre d’exemple le mot Adam (homme) n’est donné qu’au couple homme-femme ! Séparément, l’homme et la femme ne sont pas « Adam », ce n’est que leur union qui permet d’exprimer pleinement leur essence profonde et leur permet d’accéder à ce titre. Et c’est l’union des deux Léviathan qui aurait des conséquences dangereuses pour l’existence du monde. Car par cela, l’état dans lequel ils se trouveraient serait trop saint pour que le monde puisse le supporter !
Par cela nous comprenons pourquoi il est nécessaire de créer puis de supprimer la femelle du Léviathan. Car l’état conséquent à leur union constitue un objectif mais ne peut être atteint de façon subite et précipitée, car le monde n’est pas prêt spirituellement ! Il faut laisser aux hommes le temps de suivre une progression à leur portée. Cependant, ne pas créer le Léviathan femelle signifierait l’inexistence de l’objectif en question ! Dieu crée donc les deux Léviathan afin d’inséminer dans le monde l’objectif d’atteindre un niveau purement spirituel. Ensuite, il empêche ce dernier de survenir trop vite et retire la femelle qu’Il réserve pour les justes ! Or comme nous l’avons vu, ce repas aura pour objectif de conclure la progression spirituelle des tsadikim. Plus encore, ce festin est la dernière étape du monde matériel ! Il apparaît alors que les tsadikim qui le consommeront, atteindront un tel niveau de perfection qu’ils seront eux-mêmes capables de compléter le Léviathan et de lui permettre de s’exprimer complètement, comme s’il s’était uni à sa compagne ! La sainteté dégagée sera telle, qu’un monde matériel ne pourrait le supporter, d’où l’avènement d’un monde parfaitement spirituel !
Le Mi’htav Mééliyahou (tome 5, page 202) va encore plus loin et dit que le repas dont nous parlons dans le midrach sera l’étape du dévoilement ultime des secrets de la torah ! Ainsi, ce que nos sages ont dit concernant l’union du Léviathan engendrant un dévoilement spirituel extrêmement poussé se porte sur la compréhension totale et absolue de la torah supprimant par la même toutes formes de doutes et d’indécisions ! Face à cela, le libre arbitre n’aura plus sa place car nous serons capables de comprendre de façon tangible l’intérêt de la pratique des mitsvot ! Cette compréhension nous rendra comparables aux anges, ce qui constitue bien l’objectif ultime de la création de l’homme : refouler son mauvais penchant au point de le rendre inexistant !
Nous comprenons ainsi l’importance d’une chose qui pouvait nous sembler parfaitement anodine. La torah sanctionne la consommation de viande pas cacher. Nous nous rendons compte des dégâts que cela peut occasionner. Si un repas permis engendre une croissance spirituelle au point de dire que c’est par un ultime repas que nous achèverons notre rapprochement avec Hachem, alors combien à fortiori, une nourriture négative provoque l’éloignement, voire le rejet de la spiritualité ! D’où la grande rigueur requise en ce qui concerne la cacherout. L’existence de viandes interdites est le pendant négatif de l’apport spirituel d’une viande cacher. Mais ce n’est pas seulement en ce qui concerne la viande que la torah nous demande d’être vigilant, c’est sur l’ensemble de nos aliments. Ainsi, en faisant attention en permanence à ce que nous mangeons, alors nous aussi mériterons de vivre ce festin de la fin des temps et de connaître une proximité sans égale avec Hakadoch Baroukh Hou, amen ken yéhi ratsone.
Chabbat chalom.